Avec la série de billets « Écrire est un métier », je souhaite vous montrer le travail qui se cache derrière la passion et combattre quelques préjugés autour de l’écriture.
Par une mise en abyme cynique, l’écriture est une activité bien souvent romancée. Écrire des livres est perçu comme un passe-temps glamour, uniquement fait d’amusement, pratiqué par des personnes si riches que l’oisiveté leur laisse le temps de gâcher du papier en y vomissant tout ce qui leur passe par la tête. La réalité est bien évidemment très différente. Je me pencherai dans un autre billet sur les considérations pécuniaires ; je voudrais ici m’attarder sur les aspects inhérents à l’écriture, ou pourquoi l’écriture n’est pas seulement un hobby, un passe-temps, un amusement ou un simple divertissement, mais un vrai travail avec des joies et des peines. Parcourons-les donc en suivant le déroulement d’un projet d’écriture.
La page blanche, ou ces moments de la rédaction où l’inspiration ne vient pas
Toutes les personnes qui consacrent du temps à l’écriture le savent et l’ont vécu : un·e auteur·rice finit toujours à un moment ou un autre par se retrouver devant une page blanche. Je casse tout de suite le mythe de l’inspiration divine : les œuvres ne sont pas soufflées aux écrivain·e·s par des anges et d’une seule traite ! Une part de don inné, de créativité et de propension à avoir spontanément des idées est bien sûr indispensable au métier d’écrivain·e ; avec cela, l’auteur·rice doit aussi faire preuve d’un talent assidûment travaillé, d’une capacité à s’interroger et d’une volonté de s’améliorer (je ferai un billet sur le sujet, si cela vous intéresse). Un roman ne se pond pas en une nuit, mais est le fruit d’un long travail acharné. Comme dans tout travail, l’écrivain·e ne peut pas être au maximum de sa forme tout le temps. Parfois, les idées ne viennent pas. Parfois, la fatigue, le découragement, l’impression de déjà-vu, la peur, la honte… viennent saisir les poignets de l’auteur·rice et les lui lier dans le dos.
Écrire un roman est très plaisant : on joue à être une divinité et à contrôler tout un monde ; on rencontre des personnages et on s’en fait des ami·e·s ; on voyage et on laisse parler ses émotions. De temps en temps, c’est aussi très pénible : parce qu’on doit trouver quoi écrire entre deux scènes palpitantes ; parce qu’on doit faire attention à ce qu’on écrit si on veut être lu·e ; parce que si on veut écrire un roman en entier, ça prend du temps, beaucoup de temps. Je suis certaine que presque tout le monde l’a déjà expérimenté : écrire son journal intime, c’est toujours fun, car entièrement libre et sans contraintes ; écrire une dissertation, c’est plus compliqué, voire très pénible si on n’aime pas ça. Or un roman se rapproche parfois plus d’une dissertation que d’un journal intime, quand bien même on n’y distille pas de grandes idées révolutionnaires.
La relecture et correction, très pénible quand on n’a pas les compétences
Un aspect souvent méconnu et négligé dans la fabrication d’un livre : le travail n’est pas terminé une fois la rédaction finie ! Les premiers jets sont toujours à reprendre. À cette étape, la création devient beaucoup moins libre, on doit juger son propre roman, repasser encore et encore sur des passages que l’on connaît par cœur.
Surtout, une des étapes de post-production n’a l’air de rien parce qu’on en parle très peu, mais elle se trouve être bien plus complexe qu’on l’imagine : la correction. Je pourrai développer cela dans un billet si cela vous intéresse, mais sachez déjà que la correction d’un texte ne consiste aucunement à se contenter de passer un correcteur orthographique. Corriger un texte, ce n’est pas seulement vérifier l’orthographe : c’est aussi contrôler la conjugaison et la concordance des temps, ajuster le vocabulaire, harmoniser le style, réparer la grammaire et la construction des phrases… C’est aussi une multitude de règles typographiques (capitales, ponctuation, espaces…), un univers en soi que ne connaissent bien souvent que les professionnel·le·s du secteur.
Autrement dit, on sort là déjà partiellement du métier propre à l’écrivain·e. Si écrire est difficile, cela reste inhérent à l’activité d’auteur·rice. Corriger, en revanche, est également un métier en soi. Sans les compétences nécessaires, un·e écrivain·e qui ne confie pas ce travail à un·e expert·e a toutes les chances de laisser des erreurs dans son ouvrage. Or ce sont précisément ces erreurs de forme, inconsciemment (ou consciemment !) perceptibles par le lectorat, qui font sortir ce dernier de sa lecture, en dépit de la qualité de fond du texte. Dommage ! Cette étape, qui semble n’être qu’un simple coup de plumeau, est en réalité à prendre avec le plus grand sérieux.
Même quand on dispose des compétences requises pour s’en acquitter, cette tâche demeure fastidieuse, longue et bien moins attractive que l’étape précédente de création. Alors, bien sûr, on trouvera toujours des énergumènes (comme moi) qui vouent une véritable passion aux insécables, aux capitales accentuées et aux tirets demi-cadratins, mais nombre d’auteur·rice·s ont l’amour des récits et de l’écriture sans forcément avoir celle des subjonctifs imparfaits, des verbes pronominaux réfléchis et des règles d’accord du participe passé. Pour ces dernières personnes, l’étape de correction peut donc représenter un vrai calvaire.
Les alpha et bêta-lectures, ou la boxe de l’estime de soi
Le livre est écrit, relu, corrigé, récrit… On a bien envie de le faire lire à présent. Mais avant de le jeter en pâture au lectorat, on voudrait quand même bien avoir un premier avis, histoire de s’assurer que le roman est vraiment prêt. Un œil extérieur, qui pourrait relever des défauts que nous n’avons pu voir. C’est le rôle de l’alpha-lectorat (avant la relecture et correction, voire pendant la rédaction) et du bêta-lectorat (après la relecture et correction).
Cette étape est à la fois excitante et très difficile. Non pas techniquement, mais plutôt émotionnellement. C’est, généralement, la première fois que notre précieux roman va recevoir des critiques et voir tous ses défauts pointés. C’est le moment où, après tous les efforts fournis pour écrire l’ouvrage en entier, on va nous dire que des choses ne vont pas dedans. Alors qu’on arrive à cette étape à la fois épuisé·e par le travail fourni jusque-là et excité·e par l’imminence d’une publication, la relecture par une tierce personne nous met face à une terrible éventualité : celle de devoir retourner aux premières étapes, de devoir récrire, voire repenser son intrigue ou ses personnages. Et donc, potentiellement, de devoir refaire un tour par l’étape de correction, puisqu’on aura modifié le texte.
Abandonner un projet de roman est très fréquent au moment de la rédaction. On peut vouloir s’être lancé·e pour mille raisons et vouloir finalement arrêter pour d’autres, et cela n’est pas un mal. Tout le monde peut écrire, mais tout le monde ne peut pas devenir écrivain·e. Abandonner pendant la relecture et correction me semble beaucoup plus rare : à ce stade, le roman est écrit, ce n’est qu’une étape fastidieuse à passer, mais elle est délimitée par la longueur même du roman. Abandonner pendant la relecture par une tierce personne me paraît plus probable : cette fois, non pas parce que les idées sont taries, parce que l’écriture ne fonctionne pas, parce qu’on a changé d’avis… mais simplement parce que ressort pour l’auteur·rice de cette alpha ou bêta-lecture que le roman est trop mauvais pour être publié et que le travail pour le rendre potable serait bien trop important. La rédaction est une chaîne de montagnes à gravir. L’alpha et la bêta-lecture sont l’épreuve du feu.
L’aspect technique de l’autoédition : vraiment bloquant quand on ne sait pas faire !
Le livre est écrit ? Corrigé ? Relu ? Récrit, recorrigé, rerelu mille fois ? Bravo ! Ce n’est pas fini… Au-delà de son contenu, le livre est un objet en soi (même dans son format numérique !). Comme tout objet, il demande à son tour un travail bien minutieux pour se matérialiser. On revient là de nouveau aux considérations techniques. Si la correction demandait une maîtrise du français et de la typographie, la publication y ajoute des notions de fabrication de livre et d’informatique qui conduisent bon nombre d’écrivain·e·s à reconsidérer le rôle de la maison d’édition.
Alors, vous pouvez toujours faire comme je l’ai fait pour mon « roman » 0 de dix pages (la courte romance que j’avais écrite à l’école primaire, avant Angélique Hacker) et imprimer votre ouvrage sur des feuilles A4 puis les relier avec de la ficelle. Mais soyons honnêtes, je pense que vous feriez la même tête que si je vous vendais un vélo électrique et qu’en guise dudit objet je vous livre un vélo mécanique sur lequel j’ai fixé un panneau solaire au ruban adhésif… Comme tout objet de qualité professionnelle, un livre papier ou numérique suit des règles de fabrication bien spécifiques.
Là encore, tout le monde n’est pas spécialiste du sujet, loin de là, et on comprend alors la diversité des métiers du livre. Mais là où le livre se situe entre deux mondes, c’est que tout en étant un objet complexe difficile à réaliser seul·e, il est aussi un objet d’art que l’on peut tout à fait réaliser de A à Z soi-même. Et lorsque la rédaction demande une curiosité à l’égard du monde, des gens, de la psychologie et des phénomènes sociaux pour écrire des récits consistants, la publication demande celle envers l’artisanat propre au livre.
Vous trouverez des auteur·rice·s qui ne se sont pas encombré·e·s de ces considérations et se sont contenté·e·s de balancer un PDF au hasard sur Amazon. Vous comprendrez aussi pourquoi l’autoédition souffre encore d’une image d’amateurisme. Mais si vous souhaitez que vos pages tombent bien, que vos ebooks ne comportent pas de bugs, préparez-vous à passer des heures et des heures sur vos fichiers dûment écrits, relus et corrigés pour simplement les mettre en forme. Une étape que l’on aurait tort de négliger parce que c’est la mise en accessibilité du livre qui lui permet d’être lu.
La dimension légale et administrative, un vrai casse-tête
Vous avez vaincu les veuves et orphelines de votre maquette de broché ? Vous vous êtes escrimé·e en vain avec les insécables sur votre livre numérique ? Bon, vous allez pouvoir cliquer sur publier maintenant… Attendez ! Vous croyiez vous en sortir si facilement ? Ha ha, que nenni ! Comme toute action qui met en relation des êtres humains, la publication d’un livre obéit à des règles. Règles qui ont pris la forme de lois, pour organiser un peu ce secteur foisonnant. Allergiques à la paperasse administrative, préparez-vous ! Si vous n’aviez abandonné ni à la rédaction, ni à la correction, ni à la relecture, ni même à la préparation technique, rassemblez votre courage car vous allez entrer dans les méandres des règles légales du livre !
Statut fiscal, mentions légales, déclarations, ISBN, dépôt légal… Encore une différence avec l’écriture de fanfictions purement ludiques pour s’amuser et passer le temps, publier un livre en tant que tel demande de se poser quelques questions supplémentaires. Contrairement aux règles techniques de mise en forme qui restent relativement stables dans le temps, les lois ont en plus la facétie de varier au fil des années. Dernier exemple en date : l’intégration de l’autoédition dans le régime des artistes-auteurs. Et si en faisant fi des règles lors des étapes précédentes, vous risquez seulement de ne pas être lu·e, cette fois vous risquez surtout d’être en infraction avec la loi. Beaucoup plus dangereux, bien moins rigolo.
La galère du marketing : de la difficulté à se faire connaître et à trouver un lectorat… ou quand le roman ne plaît pas et que l’estime de soi prend (encore) un sacré coup
Bon, allez, vous avez passé toutes les épreuves, vous avez le droit de cliquer sur « Publier ». Ouf ! Fin de l’aventure ? Si les romans se vendaient tous seuls, ça se saurait… Même une fois votre livre terminé et publié, vous n’avez jamais vraiment fini d’en entendre parler. Tout simplement parce que le faire connaître est un autre travail en soi.
Bien sûr, là aussi, vous pourriez hausser les épaules et ne pas vous en préoccuper plus que cela. Ce que je comprendrais totalement. Pour ma part, je n’ai jamais écrit dans l’optique que ce soit uniquement pour moi. Bien sûr, j’écris énormément pour moi, dans le sens où mes romans me plaisent avant tout. Je ne réfléchis pas un roman d’abord en fonction de ce qui va plaire au public, mais de ce qui me plaît à moi, au moins dans un premier temps. Mais si je voulais les garder pour moi, je ne prendrais pas la peine de les publier. Si je les publie, c’est bien parce que je veux les vendre et les faire lire à un maximum de gens. Je veux que le lectorat découvre ma plume, s’en fasse un avis et partage les aventures merveilleuses que j’ai dans ma tête.
Mais pour faire cela, quelques notions de mercatique sont indispensables. En ce qui me concerne, autant j’ai la chance de posséder les compétences nécessaires pour la relecture et correction ainsi que la curiosité, la passion et la culture utiles pour affronter la phase technique, autant en matière de marketing et de publicité, je suis une totale novice en la matière. Pour ne pas dire une ignorante. Et je peux bien l’avouer : que de déception, après tout ce travail, après toutes ces étapes si difficiles à gravir, de voir la mèche refuser obstinément de s’allumer…
La longueur des projets qui demandent de tenir dans la durée
De toutes ces étapes, vous aurez peut-être retenu deux choses essentielles : la variété des tâches qui incombent à l’écrivain·e (autopublié·e) et surtout leur longueur. L’écriture d’un roman, de sa première idée à sa publication, est un processus incroyablement long. On a déjà du mal à faire se rendre compte les non-initiés du temps et du travail nécessaires pour réaliser un dessin, un film, une chanson… Mais en ce qui concerne les romans, la barre me paraît encore au-dessus. Peu de projets prennent autant d’années. Surtout, écrire un roman semble facile : cela ne demande « que » d’écrire des mots sur du papier, tout le monde peut le faire ! Pas besoin de moyens techniques compliqués comme pour un film ou un jeu vidéo, ni de connaissances spécifiques comme pour un dessin ou un sculpture ! Détrompez-vous. Poser des mots sur le papier peut s’avérer bien plus technique qu’il n’y paraît. Surtout, le travail que cela requiert ne s’arrête pas à la seule écriture des mots. Trouver les idées, les réfléchir et les agencer, travailler son style, mettre en forme le roman… Écrire un roman est un travail de longue haleine, avec un résultat bien moins immédiat que ce qu’on peut obtenir aux fourneaux par exemple. En plus de l’inspiration, du style et des compétences techniques, l’écriture de romans demande une ténacité sans faille, un amour inconditionnel de ses personnages qui nous en font voir de toutes les couleurs, un acharnement à voir son histoire prendre corps jusqu’au bout. Vous aurez beau rester des heures sur une chaise, vous allez suer.
Où est-ce que je veux en venir en énumérant les aspects les moins drôles de l’écriture ? Mon propos n’est certainement pas de dénigrer l’amusement, les passe-temps et hobbies qui ne sont que pure détente « improductive », bien au contraire ! Ni comparer l’écriture à d’autres activités artistiques ou artisanales effectuées de manière professionnelle ! Je veux simplement montrer que l’écriture de romans complets et leur publication, au-delà du seul plaisir d’écrire quelques lignes ou fictions de temps à autre, n’est en rien un loisir, mais un vrai travail, au sens premier du terme.
De la même manière que nous avons tous·te·s déjà gribouillé quelques dessins, parfois très beaux (parfois pas du tout !), pour le plaisir, mais que faire de l’illustration son métier n’a plus grand-chose à voir. De même, écrire un roman dans une démarche professionnelle ne peut pas être considéré comme un simple jeu accessible à n’importe qui. Il s’agit bien d’un travail, que l’on choisit d’embrasser avec ses contraintes.
C’est pourquoi en ayant énuméré ces dernières, je n’ai pas mis les revenus faibles voire inexistants dans la liste, car ce n’est pas un trait inhérent au métier mais un choix de la société actuelle de déprécier l’écriture et les écrivaines. Je vous partagerai mon sentiment sur l’aspect financier dans la suite de ce billet…
À suivre !
Sarah T.